Les fils à papa

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8,00

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La guerre faisait la guerre à la guerre.

Armés de la compassion et du goût de la vraie liberté, celle de l'ouverture des esprits, les étudiants bouddhistes vietnamiens se battaient tous les soirs contre la police de la trahison et la soldatesque asservie aux occupants américains.

Leurs armes étaient des flacons d'essence et des torches enflammées. Les héroïnes de ce combat étaient des jeunes filles aux silhouettes de fleurs fauchées qui s'immolaient par le feu pour que la paix revienne sur la terre si douce de leur pays natal, le Viet-Nam.

Nous étions en Mai 1968 à Saïgon.

Correspondant de guerre pour RTL, je couvrais le conflit américano-vietnamien depuis 1963.

Combats dans les rizières, sur les hauts plateaux, dans les plaines. Je traversais et vivais les embuscades, les fusillades, les bombardements de B52, les aventures dans les avions et hélicoptères en détresse. Au micro, j'alternais les récits de guerre avec ceux des révoltes des victimes de la géopolitique occidentale dans le Sud-Est asiatique.

- "Il faut que tu viennes te reposer quelques jours à Paris" me fait savoir mon patron par télex.

Aussitôt dit aussitôt fait. J'obéis aux ordres de mon rédacteur en chef et je me retrouve trois jours plus tard, micro au poing... en pleine nuit, rue Gay Lussac, dans le coeur de la bagarre la plus chaude de "Mai 68".

Fais gaffe, devant toi, il y a les étudiants avec leurs pavés et derrière les gardes mobiles munis de leurs matraques et de gaz lacrymogènes. Tu vas être coincé, attention à toi !

Jean-Pierre Farkas, le rédacteur en chef à qui je suis relié par "radio-téléphone" me prévient et me guide. De mon côté, je raconte aux auditeurs comment les habitants de la rue balancent des seaux d'eau des étages pour stimuler les combattants et évacuer les gaz... par-dessus les barricades.

Mon congé de repos du "combattant" avait bien commencé !

Les matraques "matraquaient", les jeunes saignaient, la police était haineuse... je travaillais micro ouvert en direct.

Jamais jusqu'à ce moment il ne m'était arrivé de donner sur antenne mon opinion personnelle sur un évènement que je couvrais mais cette nuit-là, je ne sais pas ce qui m'a pris ; je me suis entendu dire au micro :

"Un pays qui se bat contre sa jeunesse est un pays perdu !"

Faut-il le dire ? Cette réflexion n'a pas plu ! La bakélite des téléphones s'est mise immédiatement à grelotter dans les bureaux de la censure du ministère de l'information de l'époque.

Le lendemain, j'étais convoqué à je ne sais plus quel bureau officiel. Je ne me suis pas rendu à ce rendez-vous obligatoire. Ce sont les flics qui sont arrivés à RTL ! Discussion !
- "Moi, je ne suis pas français, alors votre censure ne me regarde pas et puis de grands garçons comme vous n'allez pas quand même avoir peur d'un petit belge ?"

Rapidement j'ai fait glisser la conversation sur le Viet-Nam... Ils ont tout simplement écouté ! Ils sont repartis légèrement nostalgiques, carnets de notes et matraques sous le coude.

 

Voilà pour l'anecdote.

Mais je garde, avec le temps qui passe, un goût amer au coeur en pensant au gâchis des rêves morts, aux pitres de l'époque, à ceux qui pensaient uniquement à la gloire des mots et de formules, aux vedettes de ce moment qui, comme Cohn Bendit, se disent aujourd'hui de grands européens mais qui ne connaissent rien de l'Histoire ni de la "dernière naissance" de l'Europe.

Comment ne pas hausser les épaules en contemplant les bourgeois de nos jours nés de 68 qui, en vérité, ont été battus non par "papa et maman" mais par la classe ouvrière qui les a vite jugés à l'aune de ce qu'ils étaient.
Tout cela pendant que des jeunes aux yeux bridés, vêtus du pyjama noir des soldats de la piste Ho Chi Minh, des songes de paix plein l'imagination, se faisaient assassiner par de pauvres noirs américains faisant une guerre injuste pour échapper à la pauvreté, à l'injustice sociale et raciale, cachées dans le "cauchemar américain".

Jacques Danois
Journaliste, grand reporter.